Validité des conventions relatives aux délais de préavis

Validité des conventions relatives aux délais de préavis

Publié le : 15/11/2018 15 novembre nov. 11 2018

1.    Les conventions controversées


1. Certains employés, généralement des cadres d’entreprises, sont à même de négocier des préavis ou des indemnités de préavis élevés au moment de leur engagement. Il en est notamment ainsi de ceux que l’employeur veut débaucher en leur assurant une rémunération et une sécurité d’emploi attrayantes.

Les conventions dont on examine ici la validité sont des clauses relatives aux préavis insérées dans les contrats de travail qui prévoient des délais de préavis supérieurs aux délais légaux (ci-après les « Conventions relatives aux préavis ».

2. Avant la réforme légale des délais de préavis entrée en vigueur le 1er janvier 2014, en admettant la validité de ces Conventions relatives aux préavis conclues avec des employés « supérieurs » (dont la rémunération annuelle excédait 32.254,00 € en 2013). La réponse de la jurisprudence avait varié dans le temps mais la Cour de Cassation avait finalement jugé que ces conventions pouvaient déroger aux délais de préavis légaux en faveur de l’employé (Cass., 7 avril 2008, Pas, 2008, p.829 ;  JTT, 2008, p. 207) et cette jurisprudence était très largement suivie (P. CRAHAY, « Départ de l’entreprise de ses cadres et dirigeants : conditions légales et conventionnelles », J.T.T., 2015, pp. 327 et 328, n°15).

3. La loi du 26 décembre 2013 concernant l’introduction d’un statut unique en ce qui concerne les délais de préavis (ci-après la « Loi sur le statut unique ») a abrogé les anciennes dispositions légales relatives aux préavis et instauré un nouveau régime de préavis.

La nouvelle loi prévoit des délais de préavis communs à tous les ouvriers et employés entrés en service à compter du 1er janvier 2014 et licenciés à compter de cette date (art. 37/2 de la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail, inséré par l’article 3 de la Loi sur le statut unique).

Les délais sont fixes. Les juridictions du travail n’ont plus le pouvoir d’évaluer les délais de préavis des employés « supérieurs » selon les critères dégagés par la jurisprudence, en se référant, le cas échéant, à la formule Claeys.

La Loi sur le statut unique prévoit cependant un régime transitoire pour les travailleurs entrés en service avant le 1er janvier 2014 et licenciés après cette date. Pour ceux-ci, le délai se calcule en deux étapes :

-    le premier délai est calculé selon les anciennes règles pour l’ancienneté antérieure au 1er janvier 2014 (art. 68 de la Loi sur le statut unique) ;
-    le deuxième délai est calculé selon les nouvelles règles pour l’ancienneté postérieure (art. 69 de la Loi sur le statut unique).

Les deux délais sont additionnés pour obtenir le délai total (art. 67 de la Loi sur le statut unique.

La loi prévoit cependant une exception au calcul du délai de préavis des employés « supérieurs » pour ce qui est de leur ancienneté antérieure au 1er janvier 2014. Le délai est fixé à 1 mois par année d’ancienneté avec un minimum de 3 mois (art. 68, alinéa 3, de la Loi sur le statut unique). Ce délai de préavis ne peut plus être modulé par les juridictions du travail.

4. Dans le nouveau régime légal, les Conventions relatives aux préavis conclues avant le 1er janvier 2014 demeurent-elles valables ou les nouveaux délais de préavis doivent-ils être appliqués nonobstant l’existence de ces conventions ?

La réponse à cette question est délicate dans la mesure où ni la loi ni les travaux préparatoires ne sont parfaitement clairs.
 

2.    Le litige


5. Le contrat de travail d’un employé « supérieur » contenait une formule de détermination du préavis qui lui permettait, compte tenu de son ancienneté, de son âge et de sa rémunération, de réclamer une indemnité de préavis de 1.405.467,70 € correspondant à un délai de préavis de 41 mois et 2 semaines. L’employeur contestait la demande. Selon lui, les clauses de préavis conventionnelles conclues avant le 1er janvier 2014 ne s’appliquaient plus pour les employés « supérieurs ». On ne pouvait appliquer que le préavis légal, même si le préavis conventionnel était plus avantageux.

Le Tribunal du Travail de Gand a posé à Cour constitutionnelle une question préjudicielle portant sur le point de savoir si ne violait pas la Constitution l’article 68 de la Loi sur le statut unique interprété en ce sens qu’il ne permettrait pas l’application d’une convention relative au préavis à un employé « supérieur » et que le délai de préavis convenu serait remplacé par le forfait d’un mois par année d’ancienneté.
 

3.    L’arrêt de la Cour constitutionnelle


6. Dans un arrêt du 18 octobre 2018 (n°140/2018), la Cour constitutionnelle rappelle qu’en adoptant l’article 68 de la Loi sur le statut unique (régime des délais de préavis fixes pour les employés « supérieurs »), « le législateur visait, d’une part, à éviter que les employés supérieurs doivent encore, au moment de la rupture du contrat, négocier le délai de préavis concernant l’ancienneté de service acquise au 31 décembre 2013 et, d’autre part, à tenir compte des attentes légitimes de l’employeur et du travailleur en ce qui concerne l’ancienneté de service acquise à cette date» (B.7.1).

La Cour juge que, eu égard à ces objectifs, le législateur se base sur un critère de distinction objectif mais dénué de pertinence :

-    d’une part, il n’est pas pertinent en ce qu’il ne prévoit pas que les conventions relatives au délai de préavis conclues avant le 1er janvier 2014 peuvent être appliquées aux employés « supérieurs », alors que de telles conventions peuvent être prises en compte pour les employés « inférieurs ».
-    d’autre part, il n’est pas pertinent de traiter tous les employés « supérieurs » de la même manière, qu’ils aient ou non conclu, avant le 1er janvier 2014, une convention relative au délai de préavis (B.7.2).

La Cour constitutionnelle conclut donc que l’article 68, alinéa 3, de la Loi sur le statut unique « n’est pas compatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution, en ce que, à l’égard des employés supérieurs, il ne permet pas, pour le calcul de la première partie du délai de préavis liée à l’ancienneté acquise au 31 décembre 2013, l’application d’une clause de préavis qui était valable à cette date » (B.7.3).

La Cour précise encore qu’il appartient au juge du travail saisi de mettre fin à la violation des normes constitutionnelles dans l’attente d’une intervention du législateur (B.9).
 

4.    Ce que l’arrêt de la Cour ne dit pas


7. La Cour constitutionnelle ne se prononce pas sur la validité des Conventions relatives au préavis pour le calcul de la deuxième partie du délai de préavis (art. 69 de la Loi sur le statut unique) parce que la question préjudicielle ne portait que sur la première partie de ce délai (art. 68 de la Loi sur le statut unique) (B.4.4).

Nous sommes d’avis que les Conventions relatives au préavis pourront également être appliquées pour déterminer la deuxième partie du délai de préavis (voy. les arguments en ce sens, in P. CRAHAY, « Départ de l’entreprise de ses cadres et dirigeants : conditions légales et conventionnelles », J.T.T., 2015, p.331, n°26).

Nous pensons qu’un argument puissant en ce sens, qui n’est pas évoqué par la Cour constitutionnelle dans le cadre limité de sa saisine, est le caractère unilatéralement impératif des règles légales en matière de licenciement. A supposer que la loi nouvelle soit applicable aux Conventions relatives au préavis antérieures à son entrée en vigueur et qu’elle vise en principe à remplacer tout délai conventionnel par le délai légal, ce que nous ne croyons pas, la convention entre l’employeur et l’employé ne pourrait être annulée dans la mesure où elle est plus avantageuse pour l’employé que le régime légal. C’est l’application de la règle fondamentale qui figure à l’article 6 de la loi relative aux contrats de travail : « Toute stipulation contraire aux dispositions de la présente loi et de ses arrêtés d'exécution est nulle pour autant qu'elle vise à restreindre les droits des travailleurs ou à aggraver leurs obligations ». Mais la stipulation favorable au travailleur ne peut être annulée.



Paul Crahay, avocat associé

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