La loi sur les clauses abusives dans les contrats entre entreprises : une protection nouvelle et importante pour les PME
Publié le :
05/11/2019
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11
2019
Une nouvelle loi
Notre législateur fait preuve en période d’affaires courantes d’une activité peu commune.Le Parlement a adopté, le 4 avril 2019, une loi modifiant le Code de droit économique quant à trois aspects des relations entre entreprises :
- les abus de dépendance économique ;
- les pratiques de marché déloyales ;
- les clauses abusives.
Nous examinerons ici la partie relative aux clauses abusives qui nous paraît être celle qui aura le plus d’incidences pratiques sur la conception et la négociation de contrats entre entreprises.
Interdiction et nullité des clauses abusives
Le législateur a eu à l’esprit des situations dans lesquelles certaines entreprises n’ont souvent pas d’autre choix que d’accepter les conditions contractuelles de leurs cocontractants, sans possibilité réelle de négociation, et doivent subir les conséquences négatives de telles clauses (manifestement) désavantageuses.Le principe est celui de la nullité de toute clause abusive (art. VI.91/6 nouveau du Code de droit économique).
La clause abusive est définie comme toute clause d’un contrat entre entreprises qui « à elle seule ou combinée avec une ou plusieurs autres clauses, (…) crée un déséquilibre manifeste entre les droits et obligations des parties » (art. VI.91/3, § 1 nouveau du Code de droit économique).
« Le caractère abusif d’une clause contractuelle est apprécié en tenant compte de la nature des produits qui font l’objet du contrat et en se référant, au moment de la conclusion du contrat, à toutes les circonstances qui entourent sa conclusion, l’économie générale du contrat, aux usages commerciaux qui s’appliquent, de même qu’à toutes les autres clauses du contrat, ou d’un autre contrat dont il dépend.
Pour l’appréciation du caractère abusif, il est également tenu compte de l’exigence de clarté et de compréhension [des clauses du contrat].
L’appréciation du caractère abusif des clauses ne porte ni sur la définition de l’objet principal du contrat ni sur l’adéquation entre le prix ou la rémunération, d’une part, et les produits à fournir en contrepartie, d’autre part, pour autant que ces clauses soient rédigées de façon claire et compréhensive » (art. VI.91/3, § 2 nouveau du Code de droit économique).
Le critère déterminant de la clause abusive, à savoir le déséquilibre manifeste entre les droits et obligations des parties, est un critère extrêmement large qui est susceptible d’être invoqué dans de nombreuses situations.
La liste des clauses « grises »
En plus d’une liste « noire » qui contient les clauses interdites, sans possibilité d’apporter de preuve contraire (art. VI.91/4 nouveau du Code de droit économique), la nouvelle loi énumère 8 catégories de clauses « grises » qui sont présumées abusives, sauf si l’entreprise fournit la preuve contraire en tenant compte de l’ensemble des circonstances et caractéristiques du contrat (art. VI.91/5 nouveau du Code de droit économique) :« 1° autoriser l'entreprise à modifier unilatéralement sans raison valable le prix, les caractéristiques ou les conditions du contrat ;
2° proroger ou renouveler tacitement un contrat à durée déterminée sans spécification d'un délai raisonnable de résiliation ;
3° placer, sans contrepartie, le risque économique sur une partie alors que celui-ci incombe normalement à l'autre entreprise ou à une autre partie au contrat ;
4° exclure ou limiter de façon inappropriée les droits légaux d'une partie, en cas de non-exécution totale ou partielle ou d'exécution défectueuse par l'autre entreprise d'une de ses obligations contractuelles ;
5° sans préjudice de l'article 1184 du Code civil, engager les parties sans spécification d’un délai raisonnable de résiliation ;
6° libérer l'entreprise de sa responsabilité du fait de son dol, de sa faute grave ou de celle de ses préposés ou, sauf en cas de force majeure, du fait de toute inexécution des engagements essentiels qui font l'objet du contrat ;
7° limiter les moyens de preuve que l'autre partie peut utiliser ;
8° fixer des montants de dommages et intérêts réclamés en cas d'inexécution ou de retard dans l'exécution des obligations de l'autre partie qui dépassent manifestement l’étendue du préjudice susceptible d'être subi par l'entreprise ».
On épinglera particulièrement les clauses suivantes qui sont susceptibles d’être abusives (voy. Doc. parl., Ch. repr., sess. ord. 2018-2019, n° 1451/003, pp. 40 et 44).
- Clauses de prorogation ou de renouvellement tacite (2°)
Il s’agit de certaines clauses qui prolongent ou renouvellent un contrat à durée déterminée sans qu’une partie puisse y mettre fin dans un délai raisonnable (un délai qui ne soit pas démesurément long).
- Clauses renversant la charge du risque économique (3°)
Cette disposition est particulièrement large mais imprécise.
Il sera malaisé de définir les risques économiques qui n’incombent pas « normalement » à une entreprise qui fournit le produit ou le service et que celle-ci doit supporter sans contrepartie.
- Clauses excluant ou limitant les droits d’une partie en cas d’inexécution d’obligations contractuelles (4)
Les travaux préparatoires citent comme exemple les clauses qui limitent de manière inappropriée les délais pour une entreprise de constater des défauts de conformité des biens fournis.
- Clauses relatives à la résiliation des contrats (5).
Selon les travaux préparatoires, sont visées des clauses de 2 types :- des clauses qui ne permettent la résiliation de contrats à durée indéterminée que moyennant des délais anormalement longs ou des indemnités de rupture d’une importance disproportionnée ;
- à l’inverse, des clauses qui autorisent la rupture soudaine d’un contrat à durée indéterminée sans respecter un délai de préavis raisonnable.
Renversement de la présomption d’abus
La loi ne précise pas les critères sur la base desquels la présomption de cet abus pourrait être renversée.Certes, on pourra se référer aux critères fort généraux de la clause abusive cités ci-dessus (art. VI.91/3, § 2 nouveau du Code de droit économique).
A cet égard, les travaux préparatoires évoquent une porte de sortie :
« Si l’on peut donc démontrer que l’autre partie était d’accord avec un élément déterminé du contrat ou un risque particulier, à exclure en échange d’un avantage, il s’agit d’une clause sur l’objet du contrat qui relève de la liberté contractuelle. A cet égard, l’exemple peut être donné de certaines clauses dans les contrats d’assurance, qui décrivent ou délimitent clairement le risque assuré et l’engagement de l’assureur, lorsque ces limitations sont prises en compte dans le calcul de la prime payée par la partie adverse » (Doc. parl., Ch. repr., sess. ord. 2018-2019, n° 54451/003, p. 32).
Exclusion des services financiers et des marchés publics
Les interdictions des clauses abusives ne s’appliquent pas aux services financiers et aux marchés publics, mais pourraient le devenir si l’arrêté royal est adopté en ce sens (art. VI.91/1 nouveau du Code de droit économique).Entrée en vigueur
Le nouveau régime des clauses abusives entrera en vigueur à partir du 1er décembre 2020 pour les contrats conclus, renouvelés ou modifiés après cette date. Le législateur n’a pas voulu créer une insécurité juridique pour les contrats en cours et a laissé un délai suffisamment long aux entreprises pour adapter à l’avenir leurs conditions contractuelles.En revanche, les nouvelles dispositions relatives aux pratiques de marché déloyales sont entrées en vigueur le 1er septembre 2019 et celles relatives aux abus de dépendance économique entreront en vigueur au 1er juin 2020 (art. 39 de la loi du 4 avril 2019).
Conclusion
Les nouvelles dispositions apportent une protection nouvelle et importante aux PME, notamment aux fournisseurs de grandes entreprises, aux concessionnaires de vente, aux franchisés, aux agents commerciaux ou autres entreprises similaires qui pourront faire annuler des clauses qui créent un déséquilibre manifeste entre leurs droits et obligations et ceux de leurs cocontractants.Nous ne doutons pas que cette législation innovante aura des incidences considérables dans les relations entre entreprises et que la rédaction de contrats requerra plus que jamais l’intervention de juristes qualifiés.
Paul Crahay
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